8 novembre 2013

Capitaine Thomas Sankara ou la révolution inachevée

 

Capitaine Thomas Sankara , Chef d'Etat du Burkina Faso 1983-1987
Capitaine Thomas Sankara , Chef d’Etat du Burkina Faso 1983-1987

De son vrai nom, Thomas Isidore Noël Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako, une ville située au centre-nord du Burkina Faso. Fils d’un ancien combattant et issu d’une famille musulmane il fait l’école primaire à Gaoua puis se convertit au christianisme. Prédestiné à porter la soutane, c’est plutôt l’armée qui l’accueille dans ses rangs. Très jeune, Thomas Sankara intègre l’école militaire de Kadiogo à Ouagadougou. Après le Bac, il suit une formation d’officiers à l’académie militaire d’Antsirabé à Madagascar. De retour au pays, Thomas Sankara, le jeune officier au visage dessiné bouillonne d’idées, de changement, en un mot de révolution…

Sa rencontre avec Blaise…

Une fois au pays, il monte une organisation de la nouvelle génération de jeunes officiers formés à l’étranger dont-il prend les rênes. C’est au cours d’un stage militaire au Maroc qu’il fait la connaissance de Blaise Compaoré, avec qui, il partagera des années plus tard une fraternité familiale. Thomas Sankara facilite son intégration au sein de l’organisation au mépris des procédures à suivre pour l’intégration des nouveaux membres. Blaise Compaoré est même adopté par le père du jeune Thomas comme son fils. D’ailleurs, Blaise ne manque pas de déjeuner avec son père adoptif quand celui-ci est de passage à Ouagadougou.

Thomas Sankara et Blaise Compaoré
Thomas Sankara et Blaise Compaoré

Les germes de la révolution …

 Avec l’organisation des jeunes officiers mise en place, Thomas Sankara et ses camarades revendiquent des meilleures conditions et créent dans la clandestinité des structures civiles proches des théories marxistes et communistes dans un pays en ébullition. Le capitaine Sankara, aux arguments convaincants, obtient, en 1976, la création du centre d’entrainement commando situé à Pô, dans la province de Nahouri, à 170 km au sud de la capitale dont il prend le commandement. La côte de popularité de Thomas Sankara grimpe et ses idées progressistes et révolutionnaires gagnent du terrain.

Son entrée sur la scène politique…

Thomas Sankara devient, de plus en plus, incontournable face aux différents régimes militaire qui se succèdent à la tête de la Haute Volta. En septembre 1981, il devient Secrétaire d’Etat à l’information dans le gouvernement du Colonel Saye Zerbo. Six mois plus tard, avril 1982, il annonce sa démission en direct à la télé en déclarant ce bout de phrase « malheur à ceux qui bâillonnent le peuple », phrase qui sonne comme un avertissement. Septembre, nouveau coup de théâtre, nouveau coup d’Etat portant au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Certains y voient l’ombre du capitaine Sankara, mais en réalité les auteurs de coup de force cherchaient à exploiter sa popularité grandissante. Des luttes et des divergences internes au sein de la junte emmènent le pouvoir en place à nommer, en janvier 1983, Thomas Sankara au poste de Premier ministre. Deuxième personnalité du pays, il entreprend, à ce titre, des voyages à l’étranger et se lie d’amitié avec le guide libyen Kadhafi. Ce rapprochement avec les régimes fascistes dans cette période de bipolarisation du monde est très mal apprécié par le Chef de l’Etat d’alors. C’est fort logiquement que Thomas Sankara est limogé et mis aux arrêts sous la pression de certaines puissances coloniales. Une arrestation qui coïncida avec l’arrivée en terre voltaïque de monsieur Afrique, Guy Penne, conseiller du Président François Mitterrand.

4 août 1983, la révolution…

Arrêté et emprisonné, des manifestations sont organisées pour réclamer sa libération, Thomas Sankara est ramené à Ouagadougou et placé en résidence surveillée, où il bénéficie, tout de même, de complicités au sein de l’armée. Le capitaine Sankara et ses camarades organisent des réunions secrètes et mettent en place des associations clandestines pour la prise du pouvoir. Ouagadougou vit une instabilité politique due aux coups d’états à répétition, la société civile est en ébullition, l’armée est divisée. C’est dans cette atmosphère tendue depuis quelques jours que vint la journée du 3 août jour initialement prévue pour révolution. Tout y était préparé minutieusement, les plans étaient établis au sein des garnisons et des différents syndicats acquis à la cause des jeunes officiers. Face aux hésitations du pouvoir en place, les sankaristes décident de passer, finalement, à l’offensive ce jour du 4 août malgré les négociations qui se déroulaient entre Jean-Baptiste Ouédraogo et Thomas Sankara. La machine était lancée depuis Pô, ville garnison acquis à la cause des jeunes révolutionnaires. Tous les points névralgiques ont été maîtrisés : la garde républicaine et les autres bataillons, la télé, la radio, etc. Avec une certaine facilité, le pouvoir est cueilli. Thomas Sankara et ses camarades sont les nouveaux rois du palais. Une fois à la tête de la haute volta, le capitaine Thomas Sankara met en place le Conseil National de la Révolution (CNR). Dès lors Thomas Sankara entame sa politique révolutionnaire dans tous les secteurs : l’éducation, la santé, le civisme, le travail, l’économie, etc. Sankara inculque à son Peuple l’amour de la patrie, l’espoir, l’emblème de la probité, la lutte contre toutes oppressions. Pour marquer son engagement de rupture, un an après Thomas change le nom de son pays, la Haute Volta devient le Burkina Faso (Pays des hommes intègres). Sankara parle comme Lumumba et Nkrumah, d’indépendance économique, de liberté des peuples, d’unité africaine…, il était profondément attaché à la fois à son pays et à l’Afrique : « Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part (…) Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples« . Sankara s’est mué en défenseur des causes perdues, des peuples opprimés. Les résultats de la Révolution sont révélateurs dans tous les domaines, à titre d’exemples : 2,5 millions d’enfants sont vaccinées, la polio, la rougeole et la méningite sont éradiquées. Au niveau du logement le CNR impose des coûts de loyers très bas et facilite l’accès aux logements. Sous Sankara, le taux de scolarisation s’accroît, il atteint 24% en 1986 contrairement au taux de 1% les années d’avant la révolution.

Au plan international Sankara adopte une politique : celle ne pas s’aligner derrière un des deux blocs (communiste et anticommunistes) en cette période de guerre froide. Pour le jeune Chef d’Etat, le Burkina Faso n’est ni la chasse-gardée ni l’esclave d’une quelconque puissance. Il opère un changement profond pour se défaire de la France-Afrique et du joug colonial.

La ligne rouge à ne pas franchir…

capitaine Thomas Sankara decore par Fidel castro
capitaine Thomas Sankara decore par Fidel castro

Thomas Sankara par ses prises de position bouleverse inconsciemment ou consciemment la géopolitique mondiale. Ces nombreux voyages vers les pays dits « réfractaires », le Ghana, le Zimbabwé, l’Angola, la Chine, la Roumanie, Cuba, l’Algerie, le Nicaragua, l’Union Soviétique, la Corée du nord …où il entretient des relations étroites avec Jerry Rawlings et Yoweri Museveni, Eduardo Dos Santos et Fidel Castro ennemi numéro 1 des Etats-Unis qui l’a même décoré. L’alignement systématique de Thomas Sankara derrière la Russie, lors des assemblées générales des Nations-Unies pour les votes sur la nouvelle Calédonie et l’Afghanistan, finit par convaincre le président français François Mitterrand et Félix Houphouët Boigny, têtes de file de la « France-Afrique », des intentions séparatistes de Thomas Sankara qui brille par son absence aux sommets de la France-Afrique. Il apporte son soutien inconditionnel à l’ANC de Mandela qui mène une lutte féroce contre l’apartheid et à la création d’un Etat palestinien chère à Yasser Arafat. Dès lors, le jeune capitaine attire l’attention des grandes puissances, les agences de renseignements sont à ses trousses. Cependant, Sankara n’est guère ébranlé, il ne manque pas d’apporter, le 24 septembre 1986, son appui au coup d’état manqué contre le pouvoir d’Eyadema du Togo qui jure avoir sa peau. Les relations entre d’une part Ouaga et d’autres parts Paris, Abidjan et Lomé se détériorent. La de médiation initiée par François Mitterrand en terre togolaise est avortée. Sankara, de plus en plus esseulé et incompris ne s’y rendra pas. La guerre contre le Mali sur une portion du territoire, les représailles contre la Côte d’Ivoire par l’arrestation de militaires ivoiriens à la frontière sont autant d’évènements qui vont jouer en sa défaveur. En interne, la politique de Thomas est contestée par ses plus proches collaborateurs, en occurrence son ami Blaise Compaoré et plusieurs autres mouvements syndicaux. C’est dans cette période trouble, de réorientation du CNR que François Mitterrand effectue une visite au Burkina Faso, une rencontre qui devrait rapprocher les deux peuples. Mais hélas, Mitterrand, le père de la »France-Afrique », Sankara le fils se sont livrées à une joute oratoire digne d’une véritable scène de théâtre classique à la « je t’aime moi non plus ». Les divergences se sont, considérablement, accentuées à la fin de l’entretien entre les deux hommes d’Etat. En voici quelques extraits de leurs échanges verbaux. Thomas sankara : Monsieur le président, lorsqu’il y a de cela quelques années, vous passiez par ici, ce pays s’appelait la Haute-Volta. Depuis, bien des choses ont changé et nous nous sommes proclamés Burkina Faso…Au contraire, ces détours risquent d’avoir la lourde conséquence d’endormir la conscience des peuples qui doivent lutter pour s’affranchir de cette domination, de ces formes de domination. Vous-même avez écrit quelque part dans les nombreuses pages que vous avez offertes à la littérature française que tout prisonnier aspire à la liberté, que seul le combat libère…En ce sens, la France sera toujours la bienvenue chez nous. Elle sera toujours la bienvenue dans des formes qu’il nous convient d’imaginer plus souples et qui rapprocheront davantage Français et Burkinabè. Nous ne demandons pas une aide qui éloignerait les Burkinabè des Français, ci serait une condamnation face à l’Histoire. Nous ne demandons pas, comme cela a été le cas déjà, que des autorités françaises viennent s’acoquiner avec des autorités burkinabè, africaines, et que seulement quelques années plus tard, l’opinion française, à travers sa presse se répande en condamnations de ce qui s’appelait aide, mais qui n’était que calvaire, supplice pour les peuples… Monsieur le président, vous avez écrit quelque part qu’à l’heure actuelle, l’aide de la France baisse. Et que, hélas, ajoutiez-vous, cette aide évolue au gré des ambitions politiques de la France et comble de malheur « pour le comble », pardon, avez-vous dit et souligné ce sont les capitalistes qui en profitent. Eh bien, nous croyons que cela est également juste. Vous l’auriez écrit, je crois, dans cet ouvrage ma part de vérité. Cette parcelle de vérité est une vérité. Ce sont effectivement les capitalistes qui en profitent, et nous sommes prêts pour qu’ensemble nous luttions contre eux... En réponse, Mitterrand a mis de côté son discours pour se lancer dans une improvisation. …Je saisirai au vol les derniers propos du Président SANKARA qui me demandait la raison principale de mon voyage en BURKINA FASO. Je répondrai d’emblée : nous sommes venus ici par amitié pour ce peuple ; nous sommes venus ici par fidélité à l’histoire ; nous sommes venus ici par intérêt pour ce qui s’y déroule…Quant au débat sur le capitalisme, vous me contraignez, mon cher Président, à reprendre une explication qui pourrait paraître un peu fastidieuse à cette heure-ci, et en ces lieux. Mais le problème est celui de la nature même du « pacte colonial » que je dénonce et que j’ai toujours dénoncé. Le « pacte colonial », cela consiste à laisser des pays, comme ceux d’Afrique, se spécialiser dans la vente de leurs matières premières et de transformer ces matières premières dans d’autres pays. Vous savez très bien que la richesse se trouve dans la valeur ajoutée !… Votre valeur brute, c’était vos matières premières : le bois de vos forêts, l’or, le diamant, le charbon, le manganèse, le nickel de votre sous-sol ; le cas échéant le pétrole ; c’était le cuir, la peau de vos bêtes, votre élevage. Et toutes ces matières premières étaient traitées, transformées ailleurs. Je ne m’esquive pas devant la responsabilité historique de mon pays : c’est à Marseille ou à Bordeaux que se trouvaient les grandes industries de transformation. Regardez, c’est à Marseille qu’était naguère traitée la bauxite de Guinée, et heureusement, c’est en Guinée même que sont installées, aujourd’hui, certaines usines de transformation. Pendant des siècles, on vous a exploités humainement : on a volé vos hommes, vos femmes, vos enfants. On s’est servi de vous. Je comprends votre refus, votre révolte et j’épouse votre combat. Finalement on ne pourra plus rien vendre, à personne, alors qu’il y a plus de 2 milliards de consommateurs qui pourraient être des producteurs et des transformateurs. C’est une folie ! C’est se retourner contre soi-même ! Ou alors, c’est que le goût de la domination est imbécile ! Ceux qui ont le goût de la domination immédiate ne perçoivent pas qu’à travers du temps qui passera, cela se retournera contre eux qui se sont servi abusivement de leurs forces. … Et je n’ai pas à me mêler de votre politique intérieure : si j’étais ce soir devant un autre Chef d’Etat que le Président SANKARA, devant une autre équipe, s’il n’y avait pas eu de révolution, je n’aurai sans doute pas eu à répondre à toutes les questions qu’il m’a posées, mais la disposition de la France à l’aider serait la même ! Retenez bien ce que je vous dis : ce n’est pas parce qu’il y a une équipe jeune, dérangeante, quelquefois un peu insolente, au verbe libre, ce n’est pas parce qu’elle est là que nous devons faire moins et nous retirer sur la pointe des pieds. C’est parce qu’elle est là que nous devons nous parler les yeux dans les yeux, …c’est le langage que je veux tenir pour conclure. Qu’est-ce que l’on peut faire pour que cela marche ? Vous avez besoin de nous, eh bien ! Vous nous le direz. Vous n’avez pas besoin de nous ? Eh bien ! dans ce cas là, on s’en passera.

Francois Mitterrand et Thomas Sankara
Francois Mitterrand et Thomas Sankara

Son arrêt de mort…

Après cette sérié de questions-réponses houleuse entre les Présidents Burkinabé et Français, Mitterrand retourne à Paris avec une idée un peu plus claire de la vision de Sankara, un jeune révolutionnaire récalcitrant et dangereux pour les intérêts français en Afrique de l’ouest. Le triangle de « Bermudes » se met en place : Paris – Abidjan- Lomé avec pour cible numéro un le capitaine Sankara. Plusieurs plans sont élaborés pour mettre fin à la révolution tant à Ouagadougou que dans les autres capitales notamment Abidjan et Lomé. C’est ainsi, qu’en février 1985. Une bombe explosa la suite de l’hôtel président que devrait occuper, à Yamoussoukro, Sankara durant le sommet du Conseil de l’Entente. Est-ce un avertissement ou une tentative, on n’en saurait pas plus. Une stratégie dite la « trappe à miel » est planifiée avec pour but d’infiltrer et de diviser les leaders authentiques de la révolution. Félix Houphouët Boigny s’est chargé de trouver le miel : Chantal Terrasson que le président ivoirien présenta, en début de janvier 1985, à Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire. Miss Terrasson est une jeune élève, particulièrement séduisante, du lycée de jeunes filles de Yamoussoukro. Elle est formée spécialement pour participer au protocole d’accueil des présidents. Est-ce une simple coïncidence car Chantal est la fille du docteur Terrasson, une figure de la Côte d’Ivoire, proche d’Houphouët-Boigny. Dès lors, naît une idylle entre Chantal et Blaise, une histoire d’amour qui aboutir au mariage entre les deux tourtereaux. La France-Afrique venait de réaliser un grand coup, un pas vient d’être franchi. Compaoré, numéro deux du CNR est l’élément actif. Les nombreux allers-retours de Chantal à Ouagagadougou serviraient à échanger des courriers entre le père Boigny et son beau fils Blaise qui profitait de certains déplacements à l’extérieur pour tisser son propre réseau à lui. Il fallait passer à la deuxième étape : les tracts. Dans tous le pays des tracts circulent sur une prétendue relation de Sankara d’avec la copine d’un de ses camarades de lutte, sur sa famille et sur sa personne. L’année 1987, sera marquée par des soubresauts. La lutte interne va s’exacerber. Les Syndicats se réorganisent contre les reformes du capitaine Sankara qui affiche clairement son intention de faire une pause pour réajuster les principes révolutionnaires. Mais celui-ci se heurte à une fronde interne parmi des membres du conseil national de la révolution qui s’organisent avec la bénédiction de Blaise Compaoré. Alors que dans l’entourage de Sankara, on ne cesse de le mettre en garde contre les complots dont-il serait la victime, il se refusa d’intervenir puis interdit à ses amis de neutraliser Blaise Compaoré sur qui pèsent tous les soupçons. Ainsi, au soir du 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné avec certains de ses camarades par un commando alors qu’ils étaient en pleine réunion. Après quatre ans à la tête du Burkina Faso, Sankara, celui qui aimait tant à dire à la fin de ses discours « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » part, certes sans achever la révolution mais y laisse des traces remarquables de son brillant parcours dans la conscience populaire des siens et de l’Afrique.

 

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Commentaires

domnique
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Thomas repose en paix tu a luter pour l'evulution de ton pays mais aussi pour l'afrique , helas les lèches pieds des occidantaux ne t'ont pas suivi afin de preserver leur trônes

Johnf549
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Johne376
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